Extrait de KAFKA SUR LE RIVAGE de Haruki Murakami

Publié le par Rhapsody

"Je prends un livre sur le procès de Karl Adolf Eichmann. Je me rappelle vaguement le nom de ce criminel de guerre Nazi, mais ne m'y intéresse pas particulièrement. J'ai choisi ce livre par hasard, il a attiré mon regard. J'apprends en le lisant que ce lieutenant-colonel SS aux lunettes à monture de métal et aux cheveux dégarnis était un homme à l'esprit pratique. Peu après le début de la guerre, le haut commandement nazi le charge de mettre en oeuvre la "solution finale" - le massacre des juifs -, et il élabore alors un projet concret, permettant de mener ce programme le plus efficacement possible. Le problème moral que pose pareille mission ne semble même pas effleurer sa conscience. La seul question qui le préoccupe, c'est de savoir comment il peut éliminer à moindres frais un maximum de personnes, en un minimum de temps. D’après ses calculs, l'Europe comptait à l'époque dix millions de Juifs. Combien de rames wagons de marchandises fallait-il préparer, combien de Juifs fallait-il entasser dans chacun? Quel pourcentage d'entre eux mourrait de mort "naturelle" au cours du transport? Comment accomplir cette tâche avec le moins de personnel possible? Comment se débarrasser des cadavres à peu de frais? Les brûler? Les enterrer? Dissoudre leur corps dans l'acide? Eichmann fait des calculs acharnés dans son bureau. Son plan est mis à exécution et se déroule à peu prés conformément à ses prévisions. Avant la fin de la guerre, six millions de Juifs seront éliminés. Eichmann ne se sentira jamais coupable. Assis derrière des vitres pare-balles, sur le banc des accusés, à la cour de justice de Tel-Aviv, il semble se demander pourquoi il fait l'objet d'un tel procès, pourquoi le monde entier a l’œil fixé sur lui. "J'étais un simple technicien, dira-t-il, et j'avais trouvé la réponse la plus adéquate à la question qu'on m'avait demandé de traiter. C'est exactement ce que font les fonctionnaires consciencieux du monde entier. Pourquoi suis-je le seul à être accusé ainsi?"
Tout en écoutant les chants d'oiseaux dans la forêt, par ce matin paisible, je lis l'histoire de cet homme plein de "sens pratique". Sur une page blanche, à la fin du livre, Oshima a laissé une note au crayon. Je reconnais son écriture particulière.

"Tout est question d'imagination. La responsabilité commence avec le pouvoir de l'imagination. Yeats disait: La responsabilité commence dans les rêves. C'est parfaitement exact. A l'inverse, la responsabilité ne peut naître en l'absence d'imagination. Comme nous pouvons le constater avec Eichmann."

Pensez-y, au boulot ou ailleurs...

Publié dans Littérature

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